Quand j’ai débuté dans l’immobilier en l’an 2000, au sein de l’équipe de property management d’un investisseur en immobilier tertiaire, le Directeur Technique recommandait de valider avec parcimonie les demandes des opérateurs en téléphonie visant à installer des antennes en toiture de nos immeubles.

Il était persuadé que la législation à venir accentuerait les contraintes pesant sur les opérateurs et les antennes implantées en milieu urbain, que l’impact des ondes sur la santé serait prouvé par de prochaines études scientifiques, poussant in fine les législateurs à restreindre les installations des antennes en zones habitées.

Il avait raison… et tort.

20 ans plus tard, force est de constater que les réglementations environnementales se sont en effet multipliées, et que l’écologie fait désormais partie intégrante de la stratégie de communication et de développement de tous les acteurs de la chaîne immobilière.

Mais il est tout aussi vrai que les antennes se sont multipliées partout, dans le Monde comme en France, en extérieur et en intérieur.

Non seulement les antennes sont devenues monnaie courante, mais elles sont devenues indispensables à notre mode de vie qui s’est digitalisé.

En quelques années, la disruption de l’Internet a bouleversé nos comportements, et de nombreux business models. Sans Internet, notre économie s’effondrerait.

Le débat est rude et, avouons-le, inégal entre les partisans d’une évolution rapide des technologies, jugée indispensable à notre performance économique, et ceux qui en prônent la temporisation et/ou le développement d’alternatives « durables ».

Et ce débat est actuellement sur les devants de la scène médiatique, depuis que notre président E. Macron a confirmé le 14 septembre dernier que « Oui, la France va prendre le tournant de la 5G ».

Un collectif d’élus de gauche et d’écologistes demande bien à surseoir à décision d’ici l’été 2021 le temps d’étudier l’impact climatique et environnemental de cette nouvelle technologie ; mais il semble peu probable qu’ils soient écoutés.

Entre « pro » et « anti », comment propriétaires et gestionnaires d’actifs immobiliers doivent-ils appréhender le déploiement annoncé de la 5G ?

Côté pile : la 5G, vecteur de performance

Voici un schéma de ce à quoi les diverses technologies ont permis d’accéder dans notre histoire pourtant récente (source : Arcep) :

Ceux qui sont favorables à la 5G la décrivent comme une nouvelle technologie qui permettra de prendre le virage de la compétitivité en résolvant 3 enjeux :

« Accompagner la consommation toujours plus importante de données, rendre possible la multiplication et la densification des objets connectés, développer des connexions ultra-fiables et ultra-réactives, en particulier nécessaires pour la voiture autonome. » (source : Business Immo)

Voici ce qu’elle devrait permettre (source : Arcep*)
*L’Arcep (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) est l’organisme régulateur des communications électroniques.

Quand sera-t-elle lancée ?

Des tests de plusieurs opérateurs de téléphonie sont déjà en cours en France dans plusieurs villes, afin de vérifier le fonctionnement de leur infrastructure dédiée. La première version de la 5G devrait être lancée d’ici fin 2020, avec le lancement des enchères par l’organisme en charge d’attribuer les fréquences aux opérateurs de téléphonie.

Bref, sur le papier, la 5G est on ne peut plus séduisante.

Côté face : de nombreuses inquiétudes

Et pourtant, malgré ces promesses, le déploiement de la 5G prévu en France suscite de nombreuses inquiétudes, voire une levée de boucliers.

Sont pointés :

  • Les risques de disparités régionales du déploiement de la 5G entre métropoles et zones rurales, accentuant le déséquilibre non encore réglé avec la 4G et les zones blanches ;
  • La méconnaissance du coût final aux utilisateurs finaux ;
  • Les conséquences méconnues sur l’environnement et la santé.

Un rapport gouvernemental, remis mardi 15 septembre, a conclu qu’il n’y avait « pas d’effets néfastes avérés à court terme » en dessous des valeurs limites recommandées concernant l’exposition aux ondes électromagnétiques.

Ci-dessous une représentation des fréquences attribuées pour les smartphones (source : Arcep)

Les émissions électromagnétiques des réseaux mobiles doivent respecter un certain nombre de seuils et de contraintes réglementaires, et la 5G n’y échappe pas.

Dans le cadre de son déploiement, la 5G utilisera des bandes de fréquences déjà connues (celle des 700 MHz, utilisée actuellement par la 4G, par exemple) mais aussi des fréquences nouvelles, situées dans les bandes 3,5 GHz (gigahertz) et 26 GHz.

Ces dernières impliqueront l’installation de nouvelles antennes, nécessitant encore des études complémentaires pour cerner leur impact.

Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) est attendu sur le sujet en mars 2021.

C’est ce délai d’attente du rapport de l’Anses qui a provoqué la demande de moratoire de certains, tandis que notre président E. Macron semble avoir déjà tranché en faveur de la 5G.

Quelles sont les conséquences pour l’immobilier tertiaire ?

Les avantages promis de la 5G sont censés servir à la fois le propriétaire, l’immeuble et l’utilisateur :

  • En phase de construction d’un immeuble, la 5G devrait bouleverser les processus de fabrication et de construction :
    • Information en temps réel pour une meilleure gestion du chantier,
    • Anticipation et communication ;
    • Connectivité et collaboration des acteurs du chantier et en dehors ;
    • Pilotage à distance de robots ou robots autonomes…
  • En phase d’occupation et de gestion, la 5G devrait apporter :
    • Des services aux utilisateurs : visio-conférences immersives, smart building… La 5G permettra de collecter de nombreuses données et donc d’améliorer le bâtiment en continu ;
    • Des économies d’énergie : une antenne 5G consommerait 90% en moins d’énergie pour fonctionner, par rapport à une antenne 4G ;
    • Un renfort au déploiement et à l’exploitation des capteurs intelligents (IoT – Internet des Objets…) avec à la clé : gestion de la lumière et des énergies, des pannes, des dommages signalés automatiquement, de la collecte des données du bâtiment pour une meilleure gestion, des visites virtuelles beaucoup plus performantes pour les agents immobiliers ;
    • Une amélioration de la sûreté des immeubles : les images vidéo transmises par les caméras de surveillance seraient de meilleure qualité, permettant une meilleure exploitation ;
    • Des antennes plus petites que les antennes 4G qui seront remplacées par des petites tours mobiles extérieures et intérieures.

Et, pour les propriétaires bailleurs comme les entreprises locataires, la 5G est la promesse de délivrer aux utilisateurs un service premium pour le développement de leur activité avec un impact direct sur leur performance.

La 5G sera, c’est certain, un argument massue pour attirer des utilisateurs, dans une conjoncture qui s’annonce morose pour les bailleurs, avec un stock de bureaux et de surfaces commerciales qui risque fort d’augmenter avec la crise de la COVID-19.

Mais, au-delà des arguments marketing des industriels, exerçons notre esprit critique…

  • L’économie d’énergie

Chaque antenne consommera moins d’énergie… mais à trafic constant. Il y aura en effet un « effet rebond » découlant de l’accès facilité aux données, qui va élever substantiellement le trafic, et donc augmenter l’énergie consommée.

  • Le format plus réduit des antennes

La 5G implique des fréquences plus élevées… mais qui diffusent moins loin. Il faudra donc augmenter le nombre d’antennes.

Le déploiement de la 5G en France nécessitera l’installation d’environ 30% de sites d’antennes supplémentaires par rapport à la 4G pour obtenir une couverture équivalente, selon une étude du cabinet Tactis.

Pour les propriétaires, l’augmentation des antennes devrait cependant avoir un impact positif sur leur revenu passif : les opérateurs les solliciteront davantage pour signer de nouvelles conventions d’occupation pour leurs antennes (en moyenne une convention de ce type génèrerait environ 40.000 euros/an pour un bailleur).

Mais les propriétaires et leurs gestionnaires devront au préalable réfléchir à de nombreux aspects :

  • Y a-t-il suffisamment de place disponible ? Quelles conséquences pour les toitures ?
  • Comment articuler les obligations découlant du Grenelle de l’Environnement, notamment la meilleure isolation thermique des bâtiments, avec une connectivité optimale ? Le problème se pose sérieusement avec les émetteurs outdoor vers l’intérieur des bâtiments.

Je me souviens d’un immeuble de bureaux dont nous avions remplacé la façade, ce qui avait occasionné un énorme problème de connexion à Internet, les ondes passant alors difficilement ! Nous avions réglé un problème d’étanchéité pour créer un problème majeur impactant l’activité de nos utilisateurs…

Les opérateurs mentionnent la mise en place d’antennes à faible puissance « small cells », outre que leurs conditions réglementaires d’installation sont encore à préciser, ce serait des projets ponctuels à l’initiative des gestionnaires de chaque immeuble.

En conclusion, il faudra prévoir des surcoûts dans le budget travaux des immeubles.

  • Les collaborateurs sont-ils suffisamment formés pour décider au mieux des intérêts des propriétaires et occupants ? Cela ne va-t-il pas occasionner une surcharge de travail ?

Mais malgré ces interrogations et ces inquiétudes, il semble écrit que la 5G fera partie intégrante de notre paysage dans un futur proche.

Au-delà des discours marketing et politiques qui donnent à entendre que, demain, tout le monde disposera des avantages liés à la 5G, les infrastructures en Europe ne semblent pas encore pouvoir permettre un déploiement de la 5G à court terme, et encore moins de manière homogène.

Les propriétaires ont encore quelques années pour se préparer à rendre leurs immeubles éligibles à la 5G, encore faut-il qu’ils aient posé les bons diagnostics pour chacun de leurs actifs et mis en place un plan d’action, pour répondre aux nouveaux enjeux dans un environnement économique et social bien pessimiste…

Et tout cela, sans avoir pu jauger du danger éventuel sur la santé publique que la 5G est susceptible de générer, puisque les pouvoirs publics, au nom d’une compétitivité compréhensible, ont choisi de laisser de côté le « principe de précaution » inscrit dans la loi européenne (voulant que le producteur d’une nouvelle technologie prouve son absence de danger avant de la commercialiser) dans l’espoir d’atteindre une forte croissance…

Warning ! 5G dans l’immobilier, ne vous laissez pas surprendre !

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