Depuis le début du confinement consécutif au COVID-19, je lis toutes les semaines des articles sur la grave situation dans laquelle se trouvent les commerçants, sur les solutions politiques pour les sauver, sur les mesures d’accompagnement prises par certains bailleurs tandis que d’autres justifient leur « immobilisme » par leurs propres difficultés.

Comment faire le tri entre la communication corporate des entreprises, les annonces de l’Etat, les alertes « catastrophistes » des professionnels du commerce et la réalité vécue par chacun ?

Les commerçants ne seraient-ils pas condamnés, à court ou moyen terme ?

Avant la crise du COVID-19, les commerçants de proximité survivaient difficilement face à la concurrence des grosses enseignes nationales ou internationales, des centres commerciaux et du e-commerce, tout en devant faire face à la nécessaire digitalisation de leur activité, représentant un coût très élevé et renouvelable, hélas.

Qui n’a pas entendu parler de ces locaux commerciaux de centres-villes, éternellement vacants, qui sont autant une épine dans le pied des maires, que dans celui des bailleurs ayant investi dans ce type de surfaces ?

Il semble que bailleurs, décideurs politiques et commerçants n’aient d’autre choix que de réfléchir collectivement à un nouveau modèle économique et social.

Car, même si un commerçant propose un concept attractif, il a besoin d’un trafic important près de sa boutique pour générer du chiffre d’affaire.

Or si la zone dans laquelle il est implanté ne dispose pas d’accès faciles, de places de stationnement, d’autres offres commerciales attractives, si la zone de chalandise n’est pas adaptée, son concept a de grande chance de faire « flop », même s’il a bénéficié de facilités de loyers et de charges de la part de son bailleur.

Les décideurs politiques locaux sont ainsi obligatoirement acteurs du développement commercial privé en décidant de la stratégie de développement urbain, de concert avec les propriétaires.

A la clé pour les élus : favoriser l’implantation d’entreprises, permettant l’augmentation des revenus fiscaux des territoires, et la satisfaction de leurs électeurs en vue d’une réélection plus aisée…

Mais les centres commerciaux, bien que régulièrement pointés du doigt par nombre de défenseurs du commerce de centre-ville, ont tout autant souffert du confinement.

La typologie de commerçants n’est toutefois pas la même dans les centres commerciaux qu’en centres-villes, sauf parfois dans quelques trop rares centres-villes dynamiques.

Les locataires de centres commerciaux sont pour la majorité des enseignes de groupes nationaux ou internationaux, ayant une meilleure solvabilité et étant de fait largement préférées par les bailleurs (c’est pour cela que vous retrouvez souvent les mêmes enseignes dans un centre commercial de Marseille ou de Lille).

Cela n’a pourtant pas empêché récemment quelques grandes marques de « tomber » : Naf Naf, André, Camaïeu, Celio pour ne citer que les plus connues, dans un secteur de l’habillement déjà en grande difficulté. La crise du COVID-19 a été pour elles un accélérateur, davantage qu’un déclencheur.

Des prévisions estiment que 15 à 30% des commerces ne survivront pas d’ici décembre 2020.

Fin juin, dans le cadre de la présentation de son projet de loi de finances rectificative (PLFR3), Bercy a ainsi annoncé son plan de sauvetage des commerçants de proximité.

Hormis des mesures financières et fiscales ainsi que l’accompagnement des commerçants dans la transition numérique, Bercy envisage la création d’une centaine de foncières pour racheter les murs des locaux commerciaux. Loin des grosses foncières Unibail-Rodamco-Westfield ou Klépierre, ce seront des micro-foncières dont l’objet sera d’investir et de gérer les surfaces commerciales locales.

Elles proposeront notamment des loyers allégés, un accompagnement lors de la transmission de fonds de commerces, une rénovation des locaux rachetés, la recherche et l’installation d’artisans et commerçants indépendants.

6000 « petits » commerces seraient ainsi concernés sur une durée estimée à 5 ans.

L’objectif du Gouvernement n’est pas tant d’apporter un soutien « sec » aux commerçants et artisans, que de le faire dans le cadre d’une stratégie de redynamisation des centres-villes, désertés progressivement au profit de la périphérie urbaine où s’implantent la plupart des centres commerciaux.

Par ailleurs, depuis le mois de mars, les bailleurs, et notamment les grosses foncières en immobilier commercial, sont eux aussi pleinement sollicités, par leurs locataires bien sûr mais également par les pouvoirs publics.

Le gouvernement a mis en place une médiation entre représentants des enseignes et bailleurs, espérant parvenir à un accord rapidement.

Amer constat d’échec par le PROCOS qui, s’il reconnaît que certains propriétaires ont compris les problématiques des commerçants en annulant les loyers du 2ème trimestre, notamment pour les TPE, déplore que de nombreux bailleurs aient adopté une posture jugée totalement déconnectée des difficultés de leurs locataires :

  • Procédures de recouvrement des échéances contractuellement dues durant la période de confinement,
  • Négociation de contreparties « déséquilibrées »,
  • Offre de renouvellement de bail avec un loyer élevé,
  • Application des indexations contractuelles avec des indices en décalage avec la réalité (augmentation de l’indice) etc.

Hormis la gestion des loyers dus au 2ème trimestre, se pose la question des loyers facturés après le déconfinement puisque, pour beaucoup de commerçants, « réouverture » ne signifie pas retrouver le CA antérieur.

En perspective :

  • Du côté des commerçants, des procédures judiciaires longues et coûteuses, des mises en liquidation, des licenciements de salariés,
  • Du côté des bailleurs, des locaux vacants, un taux de recouvrement bas, une difficulté à retrouver des locataires.

Pour les bailleurs, il n’est pas si simple de donner satisfaction aux commerçants, car ils se retrouvent bloqués entre deux réalités :

  • Celle de leurs actionnaires et de leurs créanciers :
    • Exigence de rentabilité de leurs actionnaires, avec une stratégie à très court terme, faute de quoi les investissements risquent fort de partir vers d’autres placements plus sécures ou plus rentables ;
    • Exigence de remboursement de leur dette par les banques.
      La décision d’annuler les loyers met donc potentiellement en péril les foncières elles-mêmes.
  • Celle des locataires-commerçants :
    • Dans l’incapacité d’honorer le paiement de leurs loyers et de leurs charges locatives dans la mesure où ils ne perçoivent pas un chiffre d’affaires suffisant ;
    • Et devenant insolvables à court ou moyen terme.

Alors entre deux maux, lequel choisir ?

Perdre dès le début en prenant la mesure des conséquences de la crise chez les commerçants, et leur donner la possibilité de s’en sortir pour in fine préserver le modèle économique ?

Ou espérer limiter les pertes dans une posture « traditionnelle » au risque d’y perdre beaucoup plus à terme ?

Bien entendu, chaque situation, chez les commerçants comme chez les foncières, est différente, et l’on ne peut juger uniformément les stratégies retenues par chacun.

Mais il est malheureusement presque certain que tous y perdront des plumes.

Pour terminer sur une note optimiste…

De tous temps, nous avons consommé. Les formes ont évolué : du colporteur, aux foires, aux magasins, en passant plus récemment par les centres commerciaux et maintenant le e-commerce, nous avons toujours cherché, par nécessité ou envie, à acheter, quelle que soit notre classe socio-professionnelle. Notre économie en est dépendante, et les pouvoirs publics interviendront d’une manière ou d’une autre pour aider à la consommation. Alors…

Le commerce est mort, craignent certains ?

Je leur réponds : « Le commerce est mort : Vive le commerce ! » !

Qui peut sauver le commerce ?

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